“Les livres sont plaisants mais si de leur fréquentation nous en perdons la gaieté, quittons-les ». Ces mots, le philosophe Michel de Montaigne aurait pu les prononcer en songeant à la presse ivoirienne qui traverse aujourd’hui, des moments sombres de sa jeune existence. Face à la concurrence cruelle d'Internet et aux contraintes sociales et financières, elle souffre aujourd'hui d'une grave désaffection de son lectorat abonné aux phénomènes de la « titrologie »* et de « la location des journaux »*. Selon les études actuelles, les chiffres donnent froid au dos : sur 36 millions d’exemplaires mis sur le marché en 2007, il y a eu 18 millions d’invendus, soit une perte sèche de 50% pour les Quotidiens. Pour les magazines, sur 18 millions d’exemplaires distribués, seuls 3,6 millions ont été traités en invendus. Chaque année, depuis 2005, le volume des ventes dans la presse écrite nationale baisse de 4,8 millions de journaux au moins, soit une perte nette d’environ un milliard de francs CFA. De 2005 à fin 2008, ce sont plus de 15 entreprises de presse et/ou journaux qui ont fermé, mettant définitivement la clé sous le paillasson. Des centaines d’employés se retrouvant au chômage. Depuis la crise survenue en 1998, les ressources publicitaires ont décliné de manière vertigineuse. Les budgets de publicité ont diminué de 50 % entre 2000 et 2003. En 2006, le Conseil supérieur de la publicité a recensé 30 agences de publicité accréditées. Moins de 10 % d'entre elles réalisaient un chiffre d'affaires annuel supérieur à un milliard de FCFA. En 2005, selon l'agence Cristal Communication, la presse écrite a engrangé seulement 2.281. 194. 375 FCFA en revenus provenant de la publicité contre près de 8 milliards FCFA pour la radio et la télévision. Alors question : la presse ivoirienne est-elle condamnée à mourir ? L’optimisme seul ne peut pas être la réponse à cette interrogation qui s’impose au regard de la chute vertigineuse des chiffres d’affaires des journaux ivoiriens.
Née d'un besoin démocratique pour garantir l'expression du pluralisme des opinions, la presse écrite ivoirienne, en général d'orientation politique et généraliste a connu un développement concomitant à l'affermissement de la démocratie. Le modèle économique sur lequel elle s’est fondée depuis la période qualifiée de « printemps » souffre toutefois, il est vrai, de lassitude, aggravée par la pauvreté et la baisse du pouvoir d’achat des lecteurs eux-mêmes, dans un contexte où acheter un journal à 200 ou 300f CFA relève plutôt, bien souvent du luxe.
Dans cette mélancolie, où éditeurs et journalistes se sont imposés un chronogramme de décisions à appliquer pour, in fine, aboutir à l’amélioration des conditions sociales et salariales dans les entreprises de presse, une bouffée d’oxygène, du moins, une lueur d’espoir s’est faite jour avec la mise en place du Comité de gestion du Fonds de soutien et de développement de la presse, institué par l’Article 102 de la loi numéro 2004-643 du 14 décembre 2004, portant régime juridique de la presse. C’est l’aboutissement d’un long processus initié depuis des années et que le ministre de la Communication a pris à bras le corps. Quasi porte-parole d’une profession qu’il a servie et dont il est, aujourd’hui, une des fiertés au plan continental, le ministre Sy Savané Ibrahim a dû batailler dur face à la réticence des forces rétrogrades rien que pour faire accepter l’idée même d’une aide publique à la presse. Pourtant, cette expérience n’est pas une curiosité ivoirienne. Certains pays dont les potentialités financières et économiques sont loin d’être comparables à celles de la Côte d’Ivoire ont, depuis l’éclosion de la presse plurielle et pluraliste, mis en place des fonds de soutien au développement de la presse. Même les pays du Nord dont on sait que les médias sont parmi les plus puissants et les plus solides au monde, ne résistent pas à la pratique. Cela devient une exigence quand l’environnement économique mondial donne les signaux inquiétants comme nous l’avons vu au cours du premier trimestre de l’année 2008 avec la crise des « subprimes » aux Etats-Unis et l’effondrement des secteurs banquiers, boursiers et financiers.
Les grands journaux du monde ne sont plus à l’abri des difficultés. Nicolas Sarkozy, le Président français a vite compris la nécessité pour son pays, membre du G8, d’éviter d’être un nain au plan de la communication. En octobre 2008, il a lancé « les états généraux de la presse ». Un rapport lui a été remis à cet effet. Pour faire face à l’urgence de la crise qui frappe de plein fouet la presse quotidienne française, le Président Sarkozy a pris une mesure d’urgence : un plan de soutien de l’Etat d’un montant de 600 millions d’Euros (environ 425 milliards de FCFA) sur trois ans, assorti de mesures économiques d’accompagnement et de soutien.
C’est donc une question de vision politique. Quoique critiquée de toute part, souvent par une certaine classe politique et une société dite civile, mais arrimée à des partis politiques, la presse ivoirienne mérite un soutien. Elle a joué et continue de jouer un rôle important dans l’éveil des consciences et l’éducation des masses. Si notre pays veut être vraiment la locomotive de la sous-région ouest-africaine, il se doit de l’être à tous les niveaux. Notamment, au niveau de sa presse, très dynamique du reste. Il est clair comme partout ailleurs que la presse ivoirienne, dans sa phase de croissance, a connu beaucoup de dérapages. Raison pour laquelle, l’Etat doit être à ses côtés afin, non seulement de l’appuyer mais surtout de l’aider à assainir son environnement économique afin de le rendre viable. Des pas ont été franchis avec la loi de décembre 2004. Un autre pas vient d’être fait avec la mise en place du fonds d’aide. Cela est bien mais ce n’est toujours pas suffisant.
Car, la crise est plus forte pour des journaux qui, pendant huit ans, ne se sont distribués rationnellement que sur 40% du territoire national.
Face à ces difficultés, renforcées par la concurrence de nouveaux médias occidentaux, par l’Internet, les journaux ivoiriens refusent de périr et se voient dans l’obligation d’adopter de nouvelles stratégies pour adapter leur modèle économique et de gestion traditionnelle. Car, le secteur est potentiellement porteur. En effet, en 1994-1995, le chiffre d'affaires de la presse nationale était évalué à 4,8 milliards de FCFA. Dix ans plus tard, en 2006, il était de 6,7 milliards FCFA
Le gouvernement doit donc aller au-delà de ce qui est fait, en abordant l’ensemble des domaines relatifs à l’activité de presse comme l’impression, la distribution et la publicité. Sinon, l’institution du fonds d’aide ne sera qu’un coup d’épée dans l’océan.
Par CHARLES SANGA (Côte d’Ivoire)
Tritrologie *: elle consiste à jeter un coup d’œil sur les titres des journaux en kiosque et lire quelques passages sans en acheter.
Location des Journaux *: le phénomène n’est pas propre à la Côte d’Ivoire. Dans plusieurs pays de la sous-région, les vendeurs à la criée s’installent aux abords des Ministères et autres services pour louer à 50 F ou 75F/jour un journal dont le prix est compris entre 250 et 300 FCFA. Les conséquences sont désastreuses pour les propriétaires des journaux qui se retrouvent avec une importante quantité d’invendus et qui doivent aussi désintéresser ces mêmes vendeurs à la criée qui les poignardent dans le dos. Si à toutes ces difficultés l’on y ajoute l’absence de réglementation dans l’attribution des publicités, les journaux ont vraiment le couteau à la gorge.
NB : Les explications sont de KANEM
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